Article: Portrait d'Arnaud Dubois - 7LMen Novembre 2024
ARNAUD DUBOIS
7LMEN
NOVEMBRE 2024
Les 7LMen sont les clients emblématiques de Septième Largeur. Nous les voyons dans nos boutiques et pour certains même en dehors. Ce sont des gens de qualité qui vivent leur vie passionnément.
Nous avions aujourd’hui envie que vous les rencontriez aussi.
Ce quatrième portrait est celui d’Arnaud Dubois. Il est cofondateur de la société de conseil en art nommée Matis. Et c’est évidemment lui-même un collectionneur.
Pour tirer ces portraits, nous avons demandé à Jordan Maurin (@menswearplease sur Instagram), ancien collaborateur, créateur de contenu et ami de la marque. À lui de jouer à présent.
Je suis dans le 10ème à Paris. J’arpente les rues autour du domicile d’Arnaud Dubois. J’écorche les murs à coups de flash bien durs. Ils ricochent. Je me prends des regards en retour. Bien durs aussi. Je fais tout ça pour les réglages de mon Fujifilm X100V.
J’essaie de savoir : ce sera quoi l’esthétique des photographies pour cet Arnaud Dubois que je ne connais pas. J’en fais une dernière, celle que vous voyez ci-dessous et je range mon appareil. “On verra chez lui”, je me dis.
J’ai le code et l’étage. L’ascenseur m’emmène au 4ème en grondant bien comme il faut. Arnaud m’ouvre avec un sourire énorme sur le visage. En entrant dans l’appartement, je regarde autour de moi. Comme s’il lisait dans mes pensées, il me dit : “mets tes affaires où tu veux.”
Mais c’est bien ça le problème. Où je veux, c’est où ?
Ce qui frappe, quand on entre, c’est l’épure. Le vide prend de la place et rien d’artificiel n’est fait pour le combler. C’est une composante à part entière de l’espace. Plus tard, Arnaud me dira : “ça m’aide à réfléchir.”
Je pénètre dans l’appartement comme on plonge dans la double page d’un magazine de décoration intérieure. Je remarque alors des œuvres un peu partout. Chacune trouve sa place, son petit espace rien qu’à elle.
La lumière entre facilement dans le lieu et je vois déjà des angles à exploiter. Je peaufine mes réglages et très vite, nous passons à l’interview.
Ça ressemble à quoi, une journée dans la vie d’Arnaud Dubois ?
Ça intéresse les gens ? (rires) La réalité, c’est que j’ai deux enfants. Donc la première chose que je fais c’est de m’occuper d’eux. Puis une douche, un café. Et j’emmène mes enfants à l’école à 8h30 et j’essaie de partir au travail un peu après.
J’ai des bureaux dans le 2ème et souvent j’ai des petits-déjeuners avec des clients ou avec mes associés et collaborateurs. Le bureau, c’est un lieu qui situe notre activité mais qui n’est pas indispensable à notre activité.
C’est quoi ton activité ?
J’ai une société d’investissement qui propose d’investir dans le marché de l’art. Je propose à des clients de diversifier leur patrimoine en investissant dans les œuvres d’art. Cette société s’appelle matis.club.
Comment tu composes ta tenue le matin ?
Alors je la compose en fonction de moi, de mon propre désir, la façon dont j’ai envie de m’habiller, en fonction de mes rendez-vous de la journée. Et à la fin en fonction du temps.
À la fin ?
Oui très bêtement. Je pense à ça à la fin. C’est surtout comment est-ce que j’ai envie de m’habiller, les rendez-vous qui exigeraient une tenue particulière ou qui m’empêcheraient de m’habiller comme j’ai envie. Et puis à la fin le temps, savoir si je prends mon trench ou mon parapluie.
La plupart du temps, je prends un béret basque que je mets sur la tête, comme je suis à vélo. Et j’ai pas peur de me mouiller un petit peu.
De manière concrète, tu as des automatismes dans la construction de la tenue ?
Je commence systématiquement par mon caleçon si tu veux l’ordre. (rires) Ensuite arrive la chemise, mes chaussettes puis mon pantalon. Et les chaussures viennent après le pantalon et avant la cravate.
C’est le plus pratique. Mettre la cravate avant, non. Quand tu te baisses pour mettre tes chaussures, ça tire le col. La veste, ce ne serait pas pratique de mettre une cravate après avoir mis sa veste. Et les souliers, mettre ses souliers alors qu’on a une veste posée sur les épaules, c’est pas pratique non plus donc voilà. Assez logique comme beaucoup d’hommes.
Tu as un modèle de chaussures fétiche ?
Oui, c’est le richelieu de chez Septième Largeur. Indiscutablement. Assez sobre, plutôt noir. Sans bout fleuri. Mais en général, si j’ai d’autres chaussures qui sont marron ou qui ont bénéficié de la patine 7L, ça restera exclusivement des richelieux. Je ne mets pas de derby. Ou alors ce sera des mocassins à pampilles pour l’été.
Ce sont des one cut ?
Non ce ne sont pas des one cut parce que j’ai le pied un peu large. Les one cut nécessitent d’avoir le pied fin. Je préfère un modèle plus anglais. Plus large et plus court. (ndlr les Eugène)
Et pourquoi noir ?
Le noir, je le porte jamais dans les habits. Sauf peut-être cravate, ceinture et chaussures. Sinon je réserve le noir aux enterrements.
Tu entretiens tes chaussures ?
C’est quelque chose qui m’importe, que je fais et que je fais régulièrement. J’ai été élevé comme ça, à regarder les souliers des hommes et les mains des femmes. C’est quelque chose qui est très important pour moi, qui fait partie de mon éducation, presque d’un devoir à l’endroit d’autrui, autant sur un respect de soi-même qu’un respect des autres. Donc j’ai toujours des chaussures qui sont impeccables, chaque fois que je sors. Systématiquement.
C’est une fois par semaine à peu près.
Alors il se trouve que j’ai pas mal de pompes, donc je ne les utilise pas tous les jours. Mais celles que j’utilise le plus régulièrement, c’est une fois par semaine oui.
Et c’est un plaisir ou une corvée ?
C’est un vrai plaisir. Et j’aime bien le transmettre à mon fils par exemple. Quand je les cire, je l’appelle et il me donne un coup de main. Il veut cirer ses baskets. (rires)
Et il découvre le côté viril en fait. C’est assez viril de cirer ses pompes. Quand je dis “viril” c’est pas dans un truc masculiniste, c’est dans le sens “vif” !
Cirer ses chaussures, ça fait partie d’une dimension esthétique et d’hygiène, j’insiste dessus, que je m’applique et qui me plaît beaucoup. Que je trouve importante.
Est-ce qu’on s’habille bien dans les métiers de l’art ?
Oui, on a affaire globalement à des gens qui ont un sens du beau, de l’esthétique. Donc ils aiment s’habiller. Après, y’a des façons de s’habiller avec des codes différents en fonction des spécificités. On trouvera des tenues plus classiques chez les commissaires-priseurs à Drouot que dans les galeries d’art très contemporain avec leurs tenues plus... on va dire “normcore”.
Est-ce que ton style s’est forgé au contact de ce milieu ?
Je ne fais pas ça pour mes clients. Je fais ça pour moi. Mais je ne nie pas que ça puisse servir mon activité.
Lorsque j’ai commencé à travailler. On m’a rapidement demandé d’où je venais, ce que je faisais, quel était le milieu dans lequel j’évoluais et m’habiller m’a donné une certaine légitimité. C’est bête à dire mais c’est réel. C’est à ce moment-là aussi où je me suis laissé poussé la moustache. Et les clients se sont moins intéressés finalement à savoir d’où je venais mais plutôt à cette façon très classique que je pouvais avoir de me présenter.
Petit aparté qui dépasse la question, pardon mais cette façon très classique en réalité, elle l’est de moins en moins. C’est que y’a un côté classique presque réac’ mais le vestiaire masculin est extrêmement codifié. Elle est classique parce qu’elle a ses codes. Mais elle l’est de moins en moins parce que aujourd’hui les efforts qui sont appliqués quotidiennement dans l’utilisation d’un vestiaire masculin le sont de moins en moins.
Moi je suis cravaté tous les jours. Ou presque. Et le week-end également car j’aime fondamentalement ça.
Tu définirais ton style comme classique ?
Je dirais que j’ai un style qui est classique. Des pantalons à pinces, des bretelles, une moustache, des chaussures à pampilles ou des richelieux. Oui.
Je pense que la première chaussure qu’on doit avoir c’est un richelieu noir. Ça me paraît basique. Et de bonne qualité, j’insiste.
On pourra se tromper sur une façon de s’habiller mais on ne pourra jamais se tromper sur une paire de souliers. Ça j’en suis vraiment convaincu. On peut avoir un super beau costume, si on a des pompes dégueulasses, c’est foutu. L’inverse n’est pas vrai. On peut porter un jean très simplement et un t-shirt, si on a une belle paire de pompes, ça change absolument tout. Ça finit la silhouette. Ça lui donne un cachet complètement différent.
Est-ce que tes clients, eux, sont bien chaussés ?
J’ai différentes typologies de clients. Mes clients plus jeunes adoptent la basket assez facilement. Mes clients plus âgés et plutôt rive gauche, en réalité, eux aiment bien s’habiller et se chaussent très bien. Très très bien. Souvent chez Corthay ou chez Berluti.
C’est un sujet de conversation avec eux ?
Oui ça l’est parce que y’a une espèce de point commun entre quelqu’un qui aime s’habiller, porter de belles pompes, il achète un tableau enfin ça fait beaucoup de points communs en réalité. Et il va aimer éventuellement une belle voiture, manger dans les bons restaurants, fumer les bons cigares, boire des alcools de qualité etc. Ça l’empêche pas d’adorer le football et d’aller au Bistrot des Familles rue de la Roquette quand le PSG joue.
Mais y’a quand même cette exigence et ce goût qui commence d’abord par eux et qui ensuite se dirige vers les autres. Mais je crois que c’est d’abord quelque chose d’individuel. Et c’est ce qui fait la différence probablement entre quelqu’un qui aime s’habiller et quelqu’un qui porte un uniforme. Même si c’est le même habit : y’en a un qui le porte par convention, l’autre parce qu’il aime ça.
Est-ce qu’on peut apprécier une belle tenue comme on apprécie un beau tableau ?
Au-delà des tendances, il y a la mode. Et un beau tableau quand on n’est pas expert, on s’en rend compte avec le temps. C’est un tableau qui tient le mur et dont on ne se lasse pas. Comme une petite musique qu’on pourrait entendre longtemps.
C’est la différence entre un morceau de musique que tu pourras écouter pendant 20 ans et une musique qui t’aura fait l’été. La musique qui t’aura fait l’été, elle est super. Tu l’as appréciée. Mais elle ne fait que l’été. La musique que tu pourras écouter pendant longtemps, pour moi, c’est ce qui fait la mode, qui s’établit sur des temps beaucoup plus longs. Qui a une certaine forme d’intemporalité et je suis à peu près convaincu que les pompes que je porte aujourd’hui (ndlr les Eugène noir en forme 206) mes enfants pourraient porter les mêmes et mes grands-parents pourraient porter les mêmes.
J’ai hérité du pull Saint James bleu de mon grand-père. S’il continue à être en bon état, mon fils le récupèrera. Au même titre qu’une très belle montre qu’on va transmettre de génération en génération, eh bien, le goût des belles choses se transmet autant que les choses elles-mêmes.
Est-ce que le mot “intemporalité” a un sens pour toi ?
“Intemporalité”, c’est un bien grand mot. La réalité, c’est qu’on parle d’une temporalité longue qui est plutôt circonscrit à l’échelle d’une génération ou de quelques générations. C’est pas un goût qui est universel. Effectivement, je suis assez convaincu que dans 100 ans on continuera d’acheter et de vendre des Picasso comme dans 100 ans on continuera d’acheter de vendre des richelieux noirs. Pas de doute là-dessus.
Quelles sont tes passions ?
Je suis un fan d’architecture et fan d’art contemporain. Plutôt d’art contemporain d’ailleurs. D’art en général. De peinture en particulier. Et de manière plus large, d’architecture et de design.
Ici, on est dans un appartement haussmannien, bourgeois, de la fin de XIXème siècle, qui est extrêmement classique. Et qui participe à la splendeur de Paris. Y’a pas d’haussmannien autre part qu’en France. Et ça c’est un truc qui m’intéresse : aller chercher ce qui fait l’architecture parisienne, de retrouver l’essence de cette architecture et d’y habiter. J’habiterais très certainement pas dans un haussmannien en Italie par exemple.
Comment se manifeste ce goût pour l’art contemporain ?
J’ai d’abord un goût pour la peinture. À travers le temps, dans l’histoire de l’art. Et puis, j’ai un goût particulier pour l’art contemporain qui est un art qui se développe des années 1950 aux années 1990. Avec une prédisposition pour un art minimal. Dans des œuvres qui sont relativement rigides, parfois sensibles mais qui se caractérisent par une économie de moyens.
Et ça, on le retrouvera dans la décoration qui est la mienne ici : l’appartement est assez grand mais il y a en fait assez peu d’objets. Ce vivre de manière minimale, c’est aussi une recherche esthétique. J’aime bien les choses qui sont rigoureuses et qui sont épurées. Et “rigoureuses” ne veut pas dire “pas sensibles”. Il peut y avoir de la spiritualité dans la rigueur.
Quels sont les grands noms pour toi ?
Vous avez actuellement une exposition Ellsworth Kelly à la Fondation Vuitton. C’est pour moi un des plus grands artistes de la seconde moitié du XXème siècle. De Pollock, en passant par Ellsworth Kelly et Barnett Newman.
Et d’ailleurs, ce sont des artistes, Newman et Kelly, qui ont une production extrêmement rigoureuse dans la façon dont elle est exécutée - ce sont les héritiers de Mondrian tout ça - et en même temps c’est d’une immense sensibilité, d’une immense spiritualité.
Est-ce que tu as des obsessions vestimentaires ?
Je me cravate quasi tous les jours. J’ai un goût prononcé pour les cravates anciennes. Des années 1980-1990 qui ont la fâcheuse habitude d’être trop large sur la pointe. Je les achète et quand j’en ai un nombre suffisant, je les apporte chez le retoucheur qui leur donne une forme plus contemporaine.
Elles viennent de chez toutes sortes de marques. Mais j’aime beaucoup les motifs des cravates Hermès, les cravates faites par Figaret par exemple.
On ne retrouve pas ces motifs maintenant. Y’avait un goût du motif. Aujourd’hui, elles sont plus épurées, plus minimales. Même si on peut retrouver des couleurs ou des formes des années 1970. Le côté presque baroque des motifs des années 1980-1990, on le retrouve plus. Et j’ai vu mon père en porter. Probablement qu’il doit y avoir un goût qui m’a été transmis à ce moment-là.
D’autres obsessions comme celle-ci ?
Je ne porte pas mes pantalons trop longs. Je déteste les cassures. J’aime quand c’est net.
C’est pas des 7/8 non plus.
Mais le côté trop bouffant de l’ouverture de jambes ne me plaît pas. Et là, en revanche, c’est une grosse différence avec mon père.
Ton film préféré ?
J’hésite entre La Maman et la Putain et Hiroshima, mon amour.
Réalisateur/réalisatrice ?
Jacques Demy, Alain Resnais. Bon c’est français, mais des gens comme ça.
Un morceau de musique ?
S’il ne devait en rester qu’un... compliqué. Très compliqué. Ça peut être plein de choses. J’aime beaucoup la Cinquième Symphonie de Mahler.
Un écrivain ?
J’ai un goût particulier pour les écrivains russes de religion juive. Que je trouve tristement passionnants et passionnément tristes. Y’a un type qui s’appelle Agueev par exemple qui a écrit Roman avec Cocaïne. Toujours des problèmes avec leur mère, la drogue, c’est très dense.
Y’a aussi un Hongrois qui a eu un prix de littérature, qui s’appelait Imre Kertész. C’est toujours très dense. Partout, tout le temps. Ce qui me passionne, c’est que c’est rempli d’une humanité. En fait, ça me rend vivant de lire ça. C’est des bouffées. C’est à la fois difficile et plein de vie. Y’a une pulsion de vie et une pulsion de mort qui se rencontrent là-dedans en fait.
Même, tu lis Lolita, c’est plus léger et à la fois dur, dense et fondamentalement humain. Lire ça nous rappelle à notre humanité la plus crue. C’est ça qui m’intéresse.
En langue française, je suis un fou de Belle du Seigneur. Je suis un fou de Cohen.
Une période artistique qui gagne à être connue ?
La période transitoire qui opère la fin du Moyen-Âge et le début de la Renaissance. J’aime bien la tension qui se crée. Autant l’Art roman de l’an 1000, 1200 que la fin de Moyen-Âge. Y’a quelque chose qui m’intéresse parce que c’est une autre vision du monde qu’on a, pour beaucoup, oubliée et dont on est héritiers.
Si tu relis Ronsard par exemple, c’est d’une modernité et d’une beauté et poésie infinies tu vois. Lire des choses comme ça c’est fantastique et on se dit “ça a 500 ans”.
Tu as des idoles ?
Mes rockstars, c’est les grands peintres du XXème siècle. Ma rockstar, c’est Mondrian. Et Andy Warhol. Tu me demandes avec qui je dois dîner demain, j’hésite entre Mondrian et Warhol.
C’était pas des gens particulièrement sympas hein. (rires) Warhol était très taiseux par exemple. Mais être une petite souris, comprendre comment ils en sont arrivés là. Les grandes histoires, c’est souvent des petites histoires qui ont réussi. Et c’est important pour moi parce que je ne néglige jamais les petites histoires du coup. Dans mon quotidien, ça m’importe.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
De rester éveillé. De rester curieux sur le monde, de rester attentif. Voilà.
Photographies réalisées et propos recueillis par Jordan Maurin (@menswearplease)
Merci Arnaud de m’avoir accueilli chez toi. Ce terrain de jeu pour l’après-midi passé ensemble était royal. Ou plutôt haussmannien. Je te remercie également pour ta gentillesse et la générosité dont tu as fait part.
JM